Olivier Magny a crée la société O chateau en 2005 avec un concept simple: faire découvrir aux touristes visitant la France les vins français. O Chateau "délocalisera" bientot sa démarche pour aller sur le sol américain faire oeuvre de pédagogie pour faire connaitre le vin français. L'originalité de la philosophie d'O chateau est de désacraliser le monde du vin et de le rendre lisible à des amateurs souvent éclairés, mais très sollicités. Nous remercions Olivier Magny de bien avoir voulu nous en dire plus sur sa société et sa vision du marché du vin.
Comment vous est venue l'idée de créer O chateau?
J’ai eu la chance de pas mal voyager. J’ai notamment travaillé en Californie. J’y ai découvert un monde de vin et des amateurs de vin comme je n’en avais jamais vus… heureux, conquérants, entreprenants, aventureux.
Du vigneron au vendeur et jusqu’au consommateur. Tous évoluaient avec plaisir et fraîcheur, avec une réelle passion. Une ouverture d’esprit gourmande et une joyeuse envie d’apprendre.
J’ai simplement voulu recréer un peu de cette ambiance à Paris.
Quels sont vos projets à moyen terme?
Au-delà du développement de notre clientèle corporate (tant par nos activités de consulting que d’animations), nous avons trois projets majeurs :
- Le premier est de devenir plus visible pour répondre au besoin de notre clientèle touristique. Nous cherchons des partenaires financiers pour nous accompagner dans ce développement.
- Le second est une structure de distribution de vin, directement à nos clients. Ce projet de Wine Club sera, nous l’espérons, lancé dans l’année
- Le troisième est un projet de Vidéo Blog en anglais qui nous l’espérons séduira, avec un ton nouveau, plus jeune, plus enlevé : www.winerendezvous.com
L'image des vins français est elle en train d'évoluer auprès des consommateurs américains ou anglais?
Clairement, mais je ferai là une différence entre US et UK.
Les anglais sont de vieux clients. Alors qu’il y a une vingtaine d’années, les rayonnages anglais étaient plein de vins français, aujourd’hui ils s’en sont vidés.
Les anglais ont pendant longtemps eu accès avant tout à nos vins les plus piteux. Puis, les Australiens, les néo-Z, les SudA sont arrivés avec leurs vins bien faits et bien markettés.
Simples d’accès. Le succès a été fulgurant. Chaque année, les vins français perdent du terrain. Nous le ressentons chaque jour auprès de nos clients anglais. Une bonne majorité aujourd’hui ne boit jamais de vins français – trop inégaux et jamais lisibles. Et pour couronner le tout, ils nous battent au rugby !!
Aux USA, la situation est différente, le vin est un phénomène plus nouveau. Bon nombre d’Américains aisés nourrissent une certaine fascination pour notre pays. Ce qui aide de façon colossale nos vins. Les vins français ont l’avantage de présenter un très bon rapport qualité-prix, notamment par rapport aux vins californiens. Cette situation s’érode chaque jour face à la chute du dollar. De surcroît, le même problème de lisibilité de nos étiquettes nous fait perdre énormément de clients.
Les vins français ont donc une image de vins assez qualitatifs mais peu compréhensibles. Ce manque d’intérêt pour le consommateur est très périlleux pour le futur de nos vins.
Quel positionnement stratégique pensez vous que les vins français doivent adopter? (luxe, innovation, prix bas...)
Pour moi, la guerre sur les vins premiers prix est déjà perdue. Les vins d’entrée de gamme sont devenus sur les marchés anglo-saxons des vins de marque. La France n’a pas su créer cela avec succès. Les mentalités ont déjà changé. Et quitte à ne pas payer cher, on est ‘safe’ avec un vin chilien, Argentin ou néo-Z.
La France a 2 cartes à jouer : celles des vins qui ont de la personnalité, des vins qui ne sont pas au standard qui s’imposent. Des vins très marqués terroir. Mais pour les vendre, il faudra faire une vraie révolution culturelle. Montrer au monde que nous avons changé. Que nous nous intéressons à eux. Expliquer cela aux vignerons. Je passe mes journées à expliquer à mes clients étrangers que nos vignerons sont nuls en marketing. Ce n’est pas tenable face aux compétences non seulement œnologiques mais aussi en matière de marketing et de distribution des vins étrangers.
Et celles des vins milieu à haut de gamme : nos grands à très grands vins sont extraordinaires. Et relativement peu chers au regard de ce qui se fait sur les vins haut de gamme à l’étranger. Mais pour le haut du panier, je ne suis pas du tout inquiet. C’est sur les vins d’entrée de gamme et les vins assez simples que la menace plane.
Quels sont les forces et les faiblesses du vin français à l'international?
Les forces sont nombreuses.
Les deux principales sont pour moi la variété et la légèreté de nos vins.
Ce sont deux choses que nos clients apprécient et découvrent en venant en France.
La France recèle de nombreux petits trésors qui présentent un excellent rapport qualité prix. La fraîcheur et l’élégance de nos vins tranche avec la puissance et le côté ‘in your face’ que l’on retrouve souvent dans les vins étrangers. Il faut s’asseoir sur ce savoir-faire et cette richesse de nos terroirs pour partir reconquérir le terrain perdu.
Le principal problème est à l’évidence un problème de marketing.
Le vin français n’est pas lisible. Si bien que de nombreux clients étrangers se détournent dès le début des vins français car ils n’y comprennent simplement rien.
Les vins français ne leur offrent presque jamais l’opportunité de se repérer, d’acheter un Shiraz, un Chardonnay ou Sauvignon Blanc.
Le système des appellations est dans l’idée bon. Mais il ne garantit plus la qualité, ni même souvent la typicité. Et surtout, il est devenu complètement illisible.
Comment un habitant de Minneapolis ou de Bournemouth peut-il savoir que le cépage planté en Pouilly Fumé est du Sauvignon Blanc.
Prenons un Crozes Hermitage, admettons que notre client soit connaisseur et que le Nord de la Vallée du Rhône produise principalement à partir de la Syrah… comment peut il savoir que Crozes-Hermitage est situé dans cette région ?
Il faut cesser d’être nombrilistes. Honorer son terroir, son héritage est crucial. Rester au fait de la technologie pour toujours produire meilleur est un impératif.
Mais ne pas offrir des habillages attrayants, des étiquettes lisibles offrant plusieurs niveaux de lecture (région, appellation, cépage), c’est perdre de vue que le consommateur a beaucoup de choix.
Et qu’il est éclairé. Le client sait bien souvent ce qu’il aime. Au producteur à dire que ce qu’il fait correspondra sans doute à ce que le client aime.
Le marketing n’est pas un gros mot. Bien souvent, seuls les producteurs en difficulté s’y mettent. « Je dois vendre plus, que puis-je faire pour vendre ? ». Il est important de prendre les devants, d’anticiper. De ne pas être dans une logique défensive, mais bel et bien offensive. Vendre un produit, si noble ou artistique soit-il, c’est toujours le vendre. On ne peut se cacher derrière une prétendue noblesse du produit ou du métier. Faire du marketing, mettre une jolie étiquette ne signifie pas que notre vin sera moins bon, ou plus uniformisé. Cela signifie simplement qu’on le vendra plus facilement et mieux.
Je suis assez jeune dans le métier du vin. Et je suis chaque jour sidéré de la faiblesse commerciale et marketing de la plupart des acteurs de la filière. De leur manque d’intérêt pour ces sujets.
Il est impératif pour tout le monde dans l’industrie du vin en France de bien comprendre que la survie de nos vins passe par une révolution marketing.
Pensez vous que l'image du pays reste toujours aussi important concernant le vin français?
Oui et non.
Nous vivons dans un monde ou les consommateurs sont surinformés et donc extrêmement rationnels.
Ils achètent en fonction des informations dont ils disposent. Pas d’information, pas d’achat. C’est assez simple.
Après, l’image de la France peut aider, mais elle est très volatile et varie au gré des pays, des rencontres sportives, des prises de bec diplomatiques et des fluctuations de change.
Tous les consommateurs dans le monde savent que la France fait de bons vins. Mais tous savent également que tous les autres pays font également de très belles choses.
Bien plus d’ailleurs que les consommateurs Français qui n’ont pas accès à ces vins.
Si l’on ne donne pas au consommateur l’occasion de trancher dans un choix rationnel, on ne pourra pas le séduire.
Ou alors uniquement lors d’une dégustation ; Qui reste une manière marginale d’acheter du vin …
Quelle opinion avez vous sur les réformes européennes en cours? (OCM, arrachage des vignes, aides à l'export...)
Pour moi, ces réformes ne vont pas dans le bon sens.
La priorité devrait être donnée à une relance de la consommation. Nous sommes le seul grand pays dans lequel le marché du vin décroît. Il faut intéresser et attirer les jeunes.
Communiquer différemment. Revoir à cet égard la Loi Evin. Un amendement relatif au vin est-il impensable dans ce pays de France ?!!
Il convient aussi de former et de regrouper les producteurs. La France ne peut se passer d’avoir un concurrent à Gallo, à Penfold’s, à Cloudy Bay. Ils nous faut des acteurs qui pèsent lourd.
Il y a quelques initiatives mais elles restent peu audibles.
Il est en outre nécessaire de sortir les vignerons de leur isolement et de développer leurs connaissances commerciales. Donner des outils de compréhension des enjeux commerciaux afin qu’ils puissent définir des stratégies commerciales et marketing pertinentes. En se faisant aider si besoin est.
Il faut revoir les étiquettes. Indiquer les cépages et les régions en plus des appellations.
Il faut réduire le nombre d’appellations. Il faut rendre nos appellations plus fortes et plus exigeantes en termes de qualité.
L’arrachage est non seulement un crève-cœur mais un aveu d’échec.
Je reste persuadé qu’avec un peu d’écoute, d’envie, d’énergie et de modestie, le vin français a un bel avenir.
Mais il faut agir vite. Très vite.
En respectant notre histoire, notre unicité et la variété de nos vins. Mais sans détourner d’un revers de main ce que le marché exige et ce que les consommateurs nous demandent : plus de lisibilité.
C’est pour moi la clef de voûte de notre réussite future.
Avez vous des difficultés a faire découvrir à vos visiteurs des vins autres que ceux issus de Bordeaux ou de la Bourgogne?
Pas du tout. La Bourgogne enchante nos clients – notamment les Bourgogne Blancs, encore abordables et surprenants face au standard mondial du Chardonnay.
Pour ce qui est du Bordelais (et souvent des Bourgogne Rouge), le problème rencontré est celui du prix : c’est bon mais c’est cher. Trop cher.
Nos clients sont fascinés de découvrir le niveau qualitatif des vins que nous leur proposons entre 10 et 15€ à l’achat.
Ils se laissent transporter par la fraîcheur Alsacienne, le charme du Rhône, la densité du Languedoc, le suave de la Loire…
Nos clients sont éminemment ouverts d’esprit. Ce qui les intéresse c’est avant tout de goûter ce qu’ils n’ont pas l’occasion de déguster chez eux.
Je milite chaque jour pour les faire explorer les régions françaises qu’ils ne connaissent pas ou mal. Notamment le Languedoc dont le style de vins correspond au goût américain.
Vos clients français et étrangers abordent-ils le vin français de la meme manière? Est il vrai que les étrangers sont parfois des amateurs plus éclairés de notre vin que nous même?
Je constate en effet que le niveau de connaissance moyen de nos clients étrangers est supérieur à celui de nos clients français.
Pour les étrangers, le vin est bien souvent nouveau. Il est synonyme de jeunesse, d’élégance, d’art de vivre, d’aisance, de sophistication et de plaisir. Les étrangers goûtent des vins de tous horizons et boivent avec plaisir. Ils apprennent, lisent des livres, prennent des cours, assistent à des dégustations.
Pour les français, le monde du vin est tout autre. Il n’est pas jeune, le ton y est ampoulé, la consommation chute… on ne s’y connaît pas et on en ressent une gêne, une petite honte. Donc on s’en détourne.
Il faut changer tout cela, chambouler ce monde, faire bouger les lignes et les références, secouer tout ce beau monde.
Il y a une élite de connaisseurs dansle vin français. Mais cette élite a depuis plusieurs année conduit au désamour du vin par le plus grand nombre. Le monde du vin aujourd’hui en France n’est pas très sexy.
Il l’est à l’étranger, donc il attire plus, forcément.
Je garde en mémoire une famille d’Australiens (les Australiens étant en moyenne mes clients les plus pointus techniquement). Je leur sers un verre de Saint Joseph. Avant que je n’en dise un mot, le fils de 8 ans me dit que ‘This Shiraz is really very interesting’. Il m’a bluffé!!